Journée d’étude du 01/09/2012. Luçon, une cité épiscopale dans une « petite ville », XVe-XIXe s.

journée d’étude organisée M. et Mme Williaume et Mme Réau

Compte rendu des communications et des visites

COMMUNICATIONS DE LA MATINÉE

Raymond WILLIAUME : L’impact des sièges de La Rochelle sur la vie luçonnaise, 1622-1628 (compte rendu par Thierry Heckmann)

Les sièges de La Rochelle, tout particulièrement celui de 1628, ont eu un fort impact aux alentours. La population a été sollicitée, voire recrutée contre La Rochelle. Luçon a été un lieu d’approvisionnement des troupes, mais aussi d’évacuation sanitaire. La circulation militaire a dégradé la voie de communication vers La Rochelle qui, au sud, suivait le canal de Luçon jusqu’à la Charrie, obliquait ensuite plein est vers Champagné, avant de reprendre un tracé plein sud. Au-delà de la Charrie, le canal de Luçon allait « sinuant » jusqu’à la mer. Mais en deçà, il était bien endigué de bots servant aussi de routes. Ces derniers ont cependant été coupés de retranchements équipés de canons, pour faire face aux incursions éventuelles de l’ennemi. En fait, ils étaient effondrés par endroit, obstruant le canal qui n’était plus navigable. La dégradation des canaux nuisait aussi à leur fonction régulatrice du marais desséché, dont ils évacuent l’eau douce à la mer.

Cette situation, qui n’était plus supportable ni justifiable après la prise de La Rochelle, le 28 octobre 1628, nous est connue grâce à l’action entreprise par les habitants de Luçon. L’évêque, Mgr de Bragelogne, successeur immédiat de Richelieu, sommé par eux de prendre ses responsabilités de baron de Luçon, s’est retourné contre le roi. Le 23 janvier 1630, le Conseil d’Etat du roi prescrivait une enquête, diligentée sur place, durant une semaine, par deux enquêteurs arrivés le 30 avril. Les frais des dégâts furent estimés à 5 000 livres. Des travaux furent effectivement entrepris, mais on ne sait si le roi remboursa les trois seigneurs qui les prirent à leur charge, c’est-à-dire l’évêque, son chapitre et le baron de Champagné.

Jean ARTARIT, Les prêtres luçonnais dans la tempête révolutionnaire (c.r. T. H.)

Bien que n’atteignant pas la moitié de la population de Fontenay-le-Comte, Luçon abritait, au début de la Révolution, trois fois plus de prêtres. Cette cité épiscopale de 2 800 âmes avait un évêque, des religieux capucins et lazaristes (des religieuses aussi, filles de la Sagesse, filles de la Charité, dames de l’Union Chrétienne, ursulines), des séminaristes, et surtout un florissant chapitre de 42 chanoines aux bénéfices confortables.

Des personnalités émergent de ce personnel. Girard, qui restera jusqu’à sa mort de la Petite Eglise. Les frères Baudouin, l’un curé, l’autre vicaire de la paroisse, le second fondant au lendemain de la Révolution un séminaire et deux congrégations à Chavagnes. Plusieurs périrent, victimes de la Révolution : Hamon, emporté par une lame sur le bateau de sa déportation ; Boulanger, tué à la bataille de Luçon ; Rodier, massacré à Noirmoutier en janvier 1794 ; Brumaud de Beauregard l’aîné, guillotiné le 9 Thermidor, jour de la chute de Robespierre, et en dépit des atermoiements des autorités, déstabilisées ; Rieussec, fusillé après l’échec du débarquement de Quiberon.

D’autres furent remarqués après les années de troubles. Paillou, parti avec huit ou neuf autres chanoines en Espagne, fut un peu le guide de tout le clergé « vendéen » réfugié dans ce royaume, et le correspondant unique de l’évêque de Luçon. Vicaire général pour la Vendée dès le concordat, il en devint évêque à partir de 1805, le siège étant alors à La Rochelle. Jean Brumaud de Beauregard, cadet du précédent, organisa en Vendée le synode du Poiré, en 1795. Arrêté à la reprise de la persécution religieuse qui suivit le coup d’État de Fructidor, il fut déporté en Guyane ; libéré sous le Consulat, il rejoignit la France via Lisbonne, y ayant été débarqué par les Anglais, qui avaient entretemps capturé son navire. La Restauration le fit évêque d’Orléans.

L’évêque de Luçon, Mgr de Mercy, quitta définitivement son diocèse au printemps 1789, car il avait été élu aux Etats généraux. Resté à Paris sous la Législative, il s’enfuit à la chute du trône, et résida alors avec trois chanoines dans la prestigieuse abbaye Saint-Vital de Ravenne, jusqu’à ce que l’avancée des troupes françaises, en 1796, le pousse en Autriche. L’abbé de Rozan, son secrétaire qui l’avait suivi jusque là, ne fut pas accepté dans l’Empire et rejoignit l’abbaye de Cava dei Tireni à Naples, où il publia plusieurs ouvrages, parfois bilingues, français-italien. Plus tard, fuyant lui aussi à nouveau l’avance française, il gagna la Sicile, avant de rallier Bourges où Mgr de Mercy, fervent et précoce partisan du concordat, avait été nommé archevêque par Bonaparte.

Tous les prêtres ne se sont pas opposés aux mesures religieuses de la Révolution : si seulement trois chanoines sur 42 ont prêté le serment de 1791, c’est pourtant le cas de 12 des 21 prêtres nés à Luçon, soit plus de la moitié (par comparaison, de Fontenay, ville de 7 000 âmes, étaient alors issus 75 prêtres, dont 22 jureurs, soit moins du tiers…).

Le nouveau clergé, installé en 1791, a été élu par un collège de citoyens (et non de fidèles). Sur la centaine de grands électeurs ayant nommé l’évêque du nouveau diocèse de la Vendée, un quart étaient protestants. Celui-ci, Rodrigue, instruit et de tendance janséniste, avait des comptes à régler avec la société de castes. Il fut entouré de huit vicaires épiscopaux, dont deux avaient une véritable stature intellectuelle. Jacques Gaudin, originaire des Sables, avait été oratorien à Lyon où, ayant critiqué le célibat des prêtres, il avait perdu son poste … pour devenir vicaire général en Corse. Élu à la Législative, il abdiqua la prêtrise en 1793, se maria et finit bibliothécaire de la ville de La Rochelle.

L’autre figure auprès de Rodrigue, Jean-Alexandre Cavoleau, agronome, statisticien, fut président de l’administration départementale de décembre 1792 à l’été 1793 ; il vécut le soulèvement de la Vendée du côté républicain, sans sacrifier à la dérive terroriste. Prisonnier des Vendéens en mai 1793, il fut libéré par eux. Marié à une religieuse, il retrouva une fonction publique dès le Consulat, devenant l’inamovible secrétaire général de la préfecture, jusqu’à la fin de l’Empire.

Marie-Thérèse RÉAU : La demeure luçonnaise, XVe-XIXe s.  (c. r. Th. H)

À Luçon, l’évêché a fait la ville. Des halles sont bien citées dès 1309, mais c’est l’érection d’un diocèse, en 1317, qui distingue Luçon. L’événement fondateur est en fait peut-être la sécularisation du chapitre, en 1469 : rompant avec la vie commune, qui les rassemblait dans les locaux conventuels organisés autour du cloître de la cathédrale, les chanoines vivent dès lors tous en ville, où ils font bâtir leurs demeures, parfois de vrais hôtels particuliers. En nombre peu à peu croissant, ils sont 43 avec l’évêque, en 1790. Ils disposent de vastes domaines, qui en font des acteurs économiques essentiels, et qui leur assurent de confortables revenus.

Les vestiges antérieurs au XVIIe siècle sont toutefois rares, plus nombreux sous forme de caves voûtées qu’en superstructure. Ville totalement ouverte, Luçon a en effet subi deux incursions destructrices des protestants, en 1568 puis en 1622. La première semble avoir ciblé toutes les propriétés ecclésiastiques, détruites à dessein. Les fermes des charpentes, par exemple, ont parfois été démontées pour être réutilisées ailleurs. Progressivement, se sont reconstruites 14 maisons canoniales, 6 autres pour les chanoines hebdomadiers, sans compter les maisons particulières de beaucoup d’autres ecclésiastiques, et les hôtels de nombreuses familles nobles, venues résider à Luçon au moins l’hiver, les Maynard de La Claye, Loynes de La Coudraye, Sochet des Touches, Morais de Cerizay, etc.

Quelques façades de ces maisons conservent le témoignage d’une certaine recherche. À l’intérieur subsistent des escaliers aux balustres de pierre ou aux rampes en ferronnerie, dont quelques-unes de très grande qualité. Parmi les cheminées, se détachent une hotte sculptée du XVIIIe siècle (actuellement déplacée à l’hôpital), et une hotte peinte au XVIIe siècle. Son grand vase de fleurs paraît de même facture que ceux des voûtes de Sainte-Ursule.

VISITES DE L’APRÈS-MIDI     (compte rendu, Th. H.)

Sous la conduite de Mme Réau, un parcours de la ville a permis de repérer les façades remarquables de nombreuses maisons, à commencer par celle du palais épiscopal. Commencée à la cathédrale, la visite s’est achevée à Sainte-Ursule, deux églises auxquelles nous limiterons ce compte rendu.

Sainte-Ursule

La chapelle de l’ancien couvent de Sainte-Ursule dispose d’une voûte lambrissée de 33 mètres de long, entièrement peinte et récemment restaurée. La Bretagne en propose une vingtaine d’autres, mais toujours consacrées à des scènes de la vie religieuse (vie du Christ, de la Vierge et des saints). Ici, ne sont magnifiées que la Passion et la gloire de Dieu : instruments de musique et instruments de la Passion alternent jusqu’à une adoration du Saint-Sacrement, située à l’aplomb du maître autel. Ce dernier, composé d’un grand retable qui occupe toute la hauteur du mur, est sommé par une sculpture d’un Dieu le Père aux bras ouverts, issant d’un oculus. La voûte peinte baroque est d’une grande pureté stylistique et doctrinale. L’ensemble peut être daté entre 1670 et 1674, grâce à la correspondance de mère Marguerite Choquet de Saint-Luc. Le retable représente la fondatrice des Ursulines, mère Angèle de Mérici (+1540), dans un grand tableau daté de 1769, l’année qui suivit celle de sa béatification.

La cathédrale

La présentation de la cathédrale s’est concentrée sur les aménagements effectués sous l’épiscopat de Mgr Jacquemet Gaultier d’Ancyse (1758-1775). Très ruinée par les guerres de religion et l’incurie du chapitre et de l’évêque au XVIe siècle, la cathédrale avait retrouvé  un jubé sous Mgr de Nivelle (1635-1661). Il était orné d’un grand Christ en croix, actuellement conservé dans une chapelle latérale, et il disposait d’un autel de retro en hauteur, portant le tabernacle et accessible par un escalier. Dans l’esprit de la réforme liturgique du concile de Trente, l’aménagement commandé par Mgr Jacquemet va consister à faire tomber ce jubé, remplacé par une simple grille aujourd’hui disparue. Tout le reste des travaux de cet évêque demeure, faisant de la cathédrale un rare exemple français d’un ensemble à peu près complet du XVIIIe siècle : stalles ornées de scènes religieuses pour les chanoines (d’autres stalles avec trophées pour l’évêque et les célébrants ont été déposées), autel majeur avec une grande statue de l’Assomption en pierre peinte, très grand baldaquin surmonté d’une majestueuse gloire. Un seul artiste semble avoir pris l’ensemble de ce chantier, Jean-Sébastien Leysner. Une délibération postérieure du chapitre évoque, avec une certaine acrimonie, une dépense de 100 000 livres (par comparaison, coût de l’édification d’une maison à Luçon, 4 000 livres).

Les frais ont cependant aussi couvert d’autres réfections de la cathédrale, comme le transept nord, dont la toute récente restauration des peintures et de l’autel a été présentée par M. Claude Loisy. M. Williaume a complété cette visite de la cathédrale par une évocation de son utilisation sous la Révolution : magasin militaire pour la nef, mais pour le chœur, pourtant si bien préservé, lieu de réunion de la Société populaire (filiale des Jacobins), et lieu d’assemblée du culte de la déesse Raison, puis de l’Être suprême, enfin du culte décadaire. L’enlèvement des fleurs de lys, sculptées en nombre sur la flèche, a été ordonné pour répondre au désir des lois condamnant tout symbole rappelant « la tyrannie ». Il causa de tels dommages qu’assez rapidement une partie de la flèche finit par s’écrouler, crevant la voûte et engloutissant l’orgue… à bonne distance toutefois du chœur. Le concordat arriva toutefois assez vite pour empêcher de transformer le bâtiment en carrière de pierres.

Le nouveau maire avait compris que, pour rendre une chance à la ville, et à défaut de la voir jouir du rang de sous-préfecture, il fallait sauver son édifice majeur, seul susceptible d’attirer à nouveau un évêque et une vie urbaine. Il réussit à faire croire que la flèche servait d’amer et qu’elle s’avérait nécessaire à la navigation… à plus de dix kilomètres de la côte.