17 juin 2023 – Le théâtre amateur vendéen

Compte rendu de la Journée d’étude à Saint-Paul-du-Bois (49) du 17 juin 2023 par Michel Poupin.

Le théâtre amateur vendéen de la première moitié du XXe siècle suscite un intérêt croissant depuis quelques années. Quelques « anciens » ont pris soin de compiler leurs souvenirs sur des supports divers avant qu’ils ne disparaissent : ils ont produit un CD-Rom en 2018 à Antigny, publié un Bulletin de liaison des amis de la Boulite1 à La Flocellière, écrit un livre sur le théâtre à Challans2 .

À l’occasion de quelques événements (cinquantenaire, centenaire… du théâtre, d’une troupe, d’une salle…) quelques pages accompagnées de photos apparaissent sur des sites (Bazoges-en-Pareds3 par Alain Rouhaud, Saint-Paul-du-Bois4 , Le théâtre amateur vendéen5 …) ou sur papier (Centenaire de l’Épine de Chantonnay6 , Lettres aux amis de l’Ile de Noirmoutier7 , Saint-Paul-Mont-Penit8 , Souviens-toi. Raconte-moi le pays Jardais9 …). Il n’existe qu’un seul travail universitaire (un mémoire de master10) : il porte sur la commune du Givre (316 habitants en 1954, 263 en 1975). Et qu’une seule présentation générale du théâtre amateur en Vendée en 1960 par l’abbé Louis Blanchet, lui-même auteur de pièces à grand succès (Ben Hur à Antigny, Monsieur Vincent à la Flocellière…)11 .
Mais le déclic le plus significatif est venu de l’extérieur, d’un « étranger », Jacques Migozzi, professeur de Lettres à l’Université de Limoges, dont la littérature populaire est la spécialité. C’est lui qui en 2016 a détecté l’étrangeté du phénomène. Restait à en mesurer l’ampleur et l’étendue pour la période autour des années 1950.

Représentation de « Monsieur Vincent » (1961-1962), La Flocellière,
Source : unilim.fr/theatre-amateur-vendeen/1276

C’est ce à quoi a servi la première communication de Michel Poupin.
La carte ci-dessous est sans équivoque : il y a du théâtre amateur partout en Vendée. Enfin presque, puisque aucune trace de troupe théâtrale n’a été trouvée pour l’instant dans 79 communes (ou paroisses, il y a quasi identité à l’époque).

Le détail mérite le détour et ne manque pas de surprendre, même en Vendée. En effet, on compte 25 communes où il n’existe qu’une troupe laïque, 128 qu’une troupe cléricale tandis que 78 disposent de deux troupes (laïque et cléricale) en compétition. 226 communes (74 %) ont donc au moins une troupe, mais en fait il existe en tout 304 troupes au moins dans un département qui compte 305 communes.
Autre caractéristique surprenante, au moins de l’extérieur, c’est la ruralité du phénomène. 72 % des représentations ont lieu dans des communes de moins de 2 000 habitants. Parmi les cas extrêmes, il faut signaler celui de Moreilles (300 habitants mais 150 paroissiens) et de L’Orbrie (427 habitants) avec une troupe catholique, une autre laïque.
Moins surprenante est la dynamique à l’œuvre. Incontestablement, elle est favorable aux troupes catholiques : non seulement elles représentent 67 % des troupes mais elles assurent 75 % des spectacles et 80 % des représentations.

Manifestement, cette dynamique n’est pas nouvelle. L’Église, qui tempête régulièrement contre le théâtre de boulevard, sait très bien instrumentaliser le théâtre pour ses besoins. C’est l’objet de la communication d’Alain Rouhaud, qui en a trouvé aux Archives départementales un cas exemplaire à Chantonnay, en 1837. Le curé y a créé une pièce de théâtre à faire jouer par des élèves – le metteur en scène étant l’instituteur, frère de Saint-Gabriel – pour recruter des élèves. Il s’agissait d’exposer la médiocrité des élèves de l’école publique, en termes de résultats et de comportements, et de valoriser ceux de l’école privée. Une querelle s’en est suivie, portée devant la justice, ce qui explique que nous disposions d’une telle quantité de traces. C’est en tout cas un bel exemple de pièce de théâtre créée déjà pour la cause de l’école privée.

C’est peut-être le cas de La Flocellière – exposé par Michel Rambaud, acteur dès l’âge de 11 ans – qui est l’exemple le plus emblématique du théâtre mis au service de l’école, car tout a fini par y être plus grand qu’ailleurs, du moins jusqu’en avril 1968. Le théâtre y a été modestement mis en œuvre au départ, comme partout, mais déjà avant 1914. D’abord dans une grange probablement, puis dans la cour de l’école des filles, enfin dans l’école privée des garçons. Après 14-18, une salle dédiée au théâtre fut construite ; elle a été constamment perfectionnée et la scène agrandie, baptisée le Châtelet Flocéen. Michel Rambaud a souligné l’enrichissement individuel, familial et collectif qu’a permis le théâtre de son village, ainsi que les Coupes de la joie auxquelles il a également participé.

C’est justement la J.A.C. (Jeunesse Agricole Chrétienne) qui organisait ces Coupes de la joie comme nous l’a exposé Roger Albert. Elle les utilisait pour rendre sa fierté à la jeunesse rurale. Et cela, par des spectacles : en plus des saynètes et du théâtre, des chants (en solo, en duo ou en chœur), il y avait des ballets, des danses, des contes, des mimes, des chœurs parlés… Les jeunes étaient encouragés à s’exposer, à prendre confiance en eux. Tout ceci participait de la culture du théâtre, fort répandue dans les communes. « La JAC a été mon université », nous a dit Roger Albert (cf. plus généralement son livre écrit avec Gilles Bély : Fiers d’être paysans, la JAC en Vendée, CVRH, 2010). Le défi a été renforcé par la place donnée à la compétition entre les équipes villageoises au niveau cantonal, départemental, fédéral et national. Mais pour jouer quoi ?

Les « séances récréatives » ou « représentations théâtrales » regroupaient beaucoup d’activités que l’on retrouve dans les Coupes de la joie, mais une pièce principale servait généralement de colonne vertébrale. C’était à 72 % des drames chez les cléricaux, à 61 % chez les laïcs. Et parmi les plus célèbres, on compte Les Misérables. Mais comment passe-t-on d’un roman d’environ 1 500 pages à un livret de 150 pages, à jouer, qui plus est, dans une salle paroissiale (V. Hugo n’était pas en odeur de sainteté au XIXe) ? C’est à cette métamorphose que s’est employé Jacques Migozzi dans sa communication : Les Misérables mis en pièce(s). Il est impossible ici de suivre les méandres de la démonstration, mais ce passage final rend bien compte de l’ensemble : « Pour le dire brutalement, et sans doute de manière provocatrice, plus globalement le double visage des Misérables de Hugo perd de son éclat irradiant. Les infâmes, Thénardier en tête, sont affaiblis en effet dans leur démonisme, tandis que les lumineux ont moins d’aura : Gavroche est rayé de la carte et Jean Valjean voit pâlir, sinon disparaître, son auréole de Surhomme angélique, que lui conféraient entre autres les séquences célèbres du sauvetage de Fauchelevent en passe d’être broyé par sa charrette, du sauvetage de Marius à travers la fondrière des égouts, de la vie sauve laissée à l’espion Javert à deux pas de la barricade … De Victor Hugo à Marcel Dubois, l’évocation des Misérables s’affaiblit dans sa démesure épique et idéaliste, ce qui pour le coup est plus difficilement explicable que l’effacement de la passion et de l’Histoire précédemment pointés, si ce n’est par une probable différence de talent et de vision. »

L’après-midi a été consacré à la découverte et l’historique des activités de Costumes et théâtre. La visite guidée spécifique des lieux par Peter Notebaert, qui dirige l’Association d’éducation populaire (A.E.P) de Saint-Paul-du-Bois (Maine-et-Loire), a concerné le théâtre, les coulisses, les collections de costumes, les décors et l’exposition.

www.costumes-et-theatre-saintpauldubois.fr

Michel Poupin

  1. L’épopée du théâtre flocéen, n° 12 de L’Écho do doué, (mai 1996 – 20 pages). ↩︎
  2. Vive les amateurs : une histoire du théâtre des amateurs : 1885-1965, avec les Amis du théâtre de Challans, les comédiens Yonnais, les comédiens de La Genétouze, la troupe des O.P.S. de Challans, Érick Croizé, SHENOV (Société d’histoire et d’études du Nord-Ouest Vendée), 240 p., 2017.
    ↩︎
  3. https://www.unilim.fr/theatre-amateur-vendeen/1117 ↩︎
  4. https://www.costumes-et-theatre-saintpauldubois.fr/rubrique/historique.php ↩︎
  5. https://www.unilim.fr/theatre-amateur-vendeen/ ↩︎
  6. Imprimerie Gaultier, 1988, Chantonnay. ↩︎
  7. Revue trimestrielle, mars, septembre et décembre 2020. ↩︎
  8. Archives départementales de la Vendée. ↩︎
  9. N° 19 (septembre 2015 – p. 42-47), n° 39 (septembre 2020 – p. 35-44), n° 43 (septembre 2021 – p.24-28), n° 47 (septembre 2022 – p. 44-50), n° 48 (décembre 2022 – p. 40-50). Signature unique : Pierre Gilbert.
    ↩︎
  10. Caillaud Maud, Le théâtre amateur au Givre : l’art d’être givrais, sous la direction de Gilles Moreau, Mémoire de master du département de sociologie de l’Université de Nantes ↩︎
  11. Louis Blanchet, « Le théâtre populaire en Vendée ou un moyen de culture humaniste », Revue du Bas-Poitou, 1960, n° 3, p. 218-229. P. 219 ↩︎