14 octobre 2023 – Cinq siècles de parcs et jardins en Vendée

Compte rendu de la Journée d’étude à Mouchamps
du 14 octobre 2023 par Olivier Rialland

Opportunément associée pour l’occasion à l’Association des parcs et jardins de Vendée, la Société d’émulation de la Vendée a organisé, à Mouchamps, le samedi 14 octobre 2023, une journée d’étude sous l’intitulé « Cinq siècles de parcs et jardins en Vendée ». Cette fructueuse collaboration a rassemblé 160 personnes venues écouter sept communications, en matinée, et découvrir, l’après-midi, trois parcs et jardins aux environs de Mouchamps.

Pas de château sans jardin

Reprenant à son compte l’expression selon laquelle qu’il n’est pas de château sans jardin, Pauline Retailleau, historienne de l’art,  a ouvert la séance en salle en sondant la définition du château, non consensuelle et plus complexe qu’il n’y paraît. Après en avoir rappelé les différentes fonctions – pouvoir et justice, défense, résidence ostentatoire… –, la jeune chercheuse s’est ensuite attachée à saisir l’évolution de l’emploi du terme, depuis le bas moyen âge jusqu’au XIXème siècle. L’emploi local du vocable et la caractérisation du « logis bas-poitevin » ont mobilisé son analyse, conclue par la formule empruntée à l’ouvrage de référence publié sous la direction de Jean-Pierre Babelon, selon laquelle « ce patrimoine fait vraiment le paysage de notre pays » (Le château en France, 1986).

Le cadastre :  un panorama de l’art des jardins

La médiéviste Marion Blanchet a explicité comment, grâce au cadastre napoléonien, levé en Vendée entre 1808 et 1846, il est possible de dessiner un panorama de l’art des jardins lié aux châteaux et logis, au premier tiers du XIXème siècle. Le rappel de la richesse des informations offertes par ce document à vocation fiscale – première représentation graphique de l’ensemble du territoire à l’échelle de la parcelle, et véritable état civil de la propriété – faisait écho à sa contribution, publiée par le Centre vendéen de recherches historiques en 2017, dans La Vendée des jardins au fil de l’histoire. L’esquisse d’une typologie des jardins et les résultats d’un dénombrement exhaustif, à l’échelle du département, étaient en revanche inédits. L’autrice a conclu sur les limites du cadastre, pour son objet d’étude, et la nécessité d’y adjoindre l’exploitation d’autres sources documentaires.

Archives départementales de la Vendée,
Cadastre d’Ardelay, E1 1939 (extrait), cote 2313 W 007-25

Chronique d’un chantier de restauration d’un jardin

Architecte honoraire et copropriétaire du château de la Cantaudière, à Moutiers-les-Mauxfaits, Laurence Guibert a offert un double témoignage, à la fois celui d’une longue quête d’informations, tant sur l’édifice élevé en 1578, ses jardins puis son parc, à partir du XIXème siècle, que sur ses propriétaires successifs, et celui d’une chronique d’un chantier spectaculaire de restauration du bâti, mené sur une décennie, et amené à se poursuivre dans le parc. Sincère et enthousiaste, Laurence Guibert a présenté sa patiente recherche archivistique, ponctuée de découvertes fortuites, ainsi que le cheminement de son enquête sur les liens entre l’évolution du bâti et la composition paysagère, mouvante, des abords. Des questionnements multiples, touchant tout à la fois à la transmission de la propriété, à l’urbanisation alentour ou aux effets à venir du changement climatique n’ont pas empêché une conclusion empreinte de sensibilité et d’optimisme.

Modernisation des châteaux et logis

Avec sa verve et sa précision habituelles, l’historien du droit Pierre Legal s’est attaché à saisir les ressorts du rétablissement des domaines fonciers, de la modernisation des logis et de la construction des châteaux, en Vendée, de la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle à la veille de la Grande Guerre. Appuyant son propos alerte à la fois sur la situation ante-révolutionnaire et sur les grands bouleversements de la dernière décennie du XVIIIème siècle, particulièrement la vente des biens nationaux, l’universitaire a dépeint les mutations du nouveau département, du retour à la paix, tant religieuse (1801 puis 1802) que civile (1804), jusqu’aux effets de la loi de 1825 (le Milliard des émigrés) et ceux de l’instauration de la monarchie de Juillet (1830). Les châtelains, grands propriétaires fonciers, ont compté parmi les acteurs majeurs et les bénéficiaires de l’expansion économique vendéenne (1845-1870) : nombre de grandes demeures sont alors restaurées ou rebâties. Les grandes crises de la fin du XIXème siècle – phylloxéra, baisse des prix des céréales… – ont finalement affecté assez peu la contrée, à l’inverse de l’entrée en guerre du pays, laquelle marque la fin du siècle d’or des châteaux vendéens, en même temps que celle d’un « certain art de vivre », selon la formule de l’auteur.

Plan terrier du château du Boistissandeau, dessin à l’encre sur papier,
anonyme, 2nde moitié du XVIIIème  siècle (?) 

Jardins du XIXèmesiècle : portraits choisis

Avec la diffusion du style paysager, l’art des jardins a connu une mutation radicale, en Vendée, à partir de la décennie 1830. S’appuyant sur l’état des lieux dressé par Marion Blanchet, le géographe Olivier Rialland a éclairé, à travers quelques portraits choisis et cependant jaloux d’une partie de leurs secrets, la dé-géométrisation de l’art des jardins, au cours des trois premières décennies du XIXème siècle. Il a expliqué la formalisation, dans la foulée de ce processus, du style paysager. Ce nouveau geste paysagiste se définit par une emprise élargie de la composition des abords du château, le dessin irrégulier des couverts, des découverts et des eaux, des allées courbes dont une de ceinture, des vues depuis le château vers le paysage extérieur, la dissimulation des communs par un écran végétal – quand ces derniers ne sont pas reconstruits et déplacés – et la plantation de nouvelles essences d’arbres, notamment exotiques, aux ports désormais libres. A travers la distinction entre paysagement in situ et paysagement in visu, l’auteur a insisté sur l’intégration visuelle du paysage alentour. La place de l’exploitation agricole du domaine foncier – l’amenage – n’a pas été oubliée, tant dans les principes de composition que dans les modalités de gestion des parcs paysagers. Les derniers travaux de recherche, menés depuis 2021 au sein de l’Association des parcs et jardins de Vendée, ont permis à Olivier Rialland de montrer, sous un jour inédit, l’ampleur du remodelage paysagiste du département au XIXème siècle, tant à l’échelle du parc qu’à celle du département tout entier.

Des palettes végétales plus riches

Théâtre de la diffusion du style paysager, le XIXème siècle est souvent présenté comme celui «de la botanique». Yves-Marie Allain a choisi d’éclairer cette dimension essentielle et pourtant encore mal connue de l’art des jardins, en s’attachant notamment à la diversité des protagonistes qui ont alors participé à l’introduction et à la mise en scène de nouvelles plantes aux abords des châteaux : les propriétaires, les paysagistes, les pépiniéristes, les horticulteurs et, souvent restés dans l’ombre, les jardiniers. En dépit de l’adoption de la nomenclature linnéenne, qui permet de désigner toutes les espèces animales et végétales grâce à une combinaison de deux noms latins, Yves-Marie Allain a rappelé les expérimentations, plus ou moins fructueuses, en matière d’acclimatation progressive des plantes, tout au long du XIXème siècle. Essentiellement initiées depuis les grands jardins des plantes – Nantes, Angers, Paris… – et relayées par les sociétés départementales d’horticulture, elles concernent la Vendée à la marge. L’enrichissement des palettes végétales de nos parcs et jardins, s’il fait écho à la diffusion de la presse spécialisée – la Revue horticole, l’almanach Le Bon Jardinier… – doit largement aux professionnels du paysage, de la pépinière et de l’horticulture, tant nantais qu’angevins, également grands artisans de la création paysagiste du département.

La carte postale, témoin du passé

En conclusion des communications orales, la conservatrice en chef honoraire du patrimoine et présidente de l’Association régionale des parcs, jardins et paysages des Pays de la Loire, Christine Toulier, s’est interrogée sur la représentation du jardin et de la demeure, dans leurs acceptions génériques, à travers l’iconographie produite à la charnière du XIXème et du XXème siècle, plus particulièrement la carte postale. Louant, comme les autres intervenants, l’intérêt des fonds conservés au sein des différents services d’archives publics, particulièrement celui des Archives départementales de la Vendée, et fondant son analyse sur sa pratique éprouvée de chercheuse à l’Inventaire du patrimoine, elle a décrypté les apports documentaires de ces sources et interrogé les continuités et les discontinuités que révèle l’observation, sur le temps long, des jardins de carte postale, jusqu’à parfois saisir leur déclassement, au XXème siècle. Avec malice, elle a su retourner ces petits cartons imprimés et découvrir, grâce à la correspondance manuscrite, des aspects singuliers et plus joyeux de la sociabilité des détenteurs des châteaux, des jardins et des parcs, pendant l’entre-deux-guerres.

Les visites de parcs et de châteaux

Déjeuner pris, un court circuit en autocar a permis ensuite aux participants à la journée de donner corps aux exposés matutinaux, grâce à la découverte de trois châteaux et de leurs jardins, chacun offrant une histoire différente et un style propre : la Bonnière, à Mouchamps, le Boistissandeau, aux Herbiers, et la Débuterie, à Rochetrejoux.

Logis de la Bonnière

Françoise de la Droitière a accueilli l’assistance dans la cour d’honneur de son logis de la Bonnière, bâti à la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, puis modernisé dans la deuxième moitié de la décennie 1850, notamment par l’adjonction d’une tour à l’ouest et d’un corps central à trois pans contre la façade sur le jardin. Pauline Retailleau a expliqué que, de la première phase de construction, en contrebas d’une terrasse orientée sud-sud-ouest, subsiste l’actuel jardin quadrangulaire, clos de murs, d’environ un tiers d’hectare et légèrement plus long que large. Jadis jardin d’agrément et jardin utilitaire, il est toujours prolongé dans son axe par une allée rectiligne qui conduit, une trentaine de mètres plus bas, au ruisseau de Riamberge, où se trouvent un lavoir et un petit bois parcouru d’allées dédiées à la promenade, « les Bas de Ragoya ». Ce jardin régulier a été enrichi, à l’est de la demeure, très probablement au milieu du XIXème siècle, lors de la modernisation du logis, par la plantation d’arbres d’ornement, en vogue à l’époque, notamment des séquoias géants, qui atteignent aujourd’hui une taille respectable.

Le Boitissandeau

Au sud de l’ancienne commune d’Ardelay, rattachée aux Herbiers, Laurent Blanchard, conservateur des antiquités et objets d’art de la Vendée, a conduit de main de maître la visite des extérieurs du Boitissandeau. Sur la base d’un plan des jardins, probablement de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, et du plan cadastral de 1838, il a décortiqué les différents éléments structurant cette immense composition régulière et questionné leur articulation et leur datation. En effet, si le château et le jardin d’agrément, en contrebas de la terrasse au sud-est, datent de la fin du XVIème siècle, certaines parties des jardins utilitaires et l’avenue axiale d’arrivée sont largement postérieures. Si des portions du jardin existant au premier cadastre ont disparu – le labyrinthe, le bosquet régulier –, ont été simplifiées – la grande charmille – ou sont en voie d’effacement – les parterres de pièces coupées du jardin Renaissance –, notre guide prolixe a permis à chacun de saisir l’ampleur et la complexité des aménagements d’hier, comme les jeux d’eau, l’ancien moulin et ses aménagements hydrauliques, et de s’interroger sur les fonctionnalités actuelles ou à venir d’un tel site.

Vue à vol d’oiseau 2017, cliché APJV

Château de la Débutrie

En clôture de cette série de visites, l’aréopage studieux a été reçu par Olivier de Tinguy, au château de la Débutrie. Pédagogue, le propriétaire a expliqué comment l’actuelle demeure possède une partie ancienne, cantonnée de deux tours, datant du début du XVIIème siècle, un corps de logis central adjoint au siècle suivant et une dernière aile, à l’est, ainsi que deux tours formant pendant aux précédentes, élevées au milieu du XIXème siècle. Avant cette modernisation, le château occupait une plateforme fossoyée, les jardins se déployaient en périphérie, selon un parcellaire géométrique, et les anciens communs, implantés au sud-ouest de la demeure, coupaient la vue vers l’étang. Fort d’un plan de paysagiste attribué à André Leroy, Olivier de Tinguy a montré l’ampleur du remodelage de l’environnement domestique, opéré au milieu du XIXème siècle : comblement des douves du château, démolition des anciens communs et construction des nouvelles dépendances en marge du parc, déplacement et isolement à distance du nouveau potager, création d’un réseau d’allées courbes conduisant vers l’étang, au sud, et reliant la campagne, au nord. Si l’île du vaste plan d’eau, figurant sur le plan du paysagiste, n’a pas été réalisée, la mise en scène générale de la demeure, toujours perceptible, traduit clairement les orientations dessinées au milieu du XIXème siècle. La nature exacte d’un aménagement singulier – saut-de-loup, haha ou rivière artificielle ? –, semble-t-il déjà présent au cadastre de 1840, n’a pas manqué de questionner, sans réponse définitive, ni le propriétaire, ni les observateurs.

Par les archives comme par le terrain, et grâce à une diversité d’analyses et de témoignages, les nombreux participants à cette journée d’étude ont pu mesurer l’importance et la diversité de la création paysagiste associée aux châteaux et aux logis en Vendée, tout comme la complexité à en saisir ses linéaments, depuis la Renaissance